Les débats télévisés sont-ils utiles à la démocratie ?

Le 11 février, comme beaucoup de gens, j’ai regardé le débat télévisé organisé par France2 (“ vous avez la parole”) avec en invité M. LePen et G. Darmanin. D’un côté la présidente de l’extrême droite, et de l’autre coté le ministre intérieur de la Présidence actuelle.

Cela commença à 21 h et 20 minutes plus tard, j’avais tout simplement un malaise qui me parcourait de bas en haut. Pourquoi ? Bonne question, et je propose de chercher la réponse dans ce qui suit.

Premièrement, je regarde beaucoup de ces débats politiques (surtout en France, où ils sont légion): il y eut les débats sur France 2 (dans l’émission de Ruquier), il eut l’émission politique, il y eut les débats présidentiels Français (ils sont lààààà!!!), mais aussi les présidentielles américaines, et même de temps en temps quelques débats belges, mais commençons par une définition.

Selon Wikipédia : Une émission de débat (ou un débat télévisé à la télévision) est une émission de télévision ou de radio qui rassemble un groupe de personnes, lequel débattent de différents sujets proposés par un animateur.

De cette définition, on peut tirer 3 candidats à mon malaise : l’organisation, les intervenants (groupe de personne et animateur) et le sujet.

Était-ce la qualité de l’organisation ?

Il n’y a rien à dire sur l’organisation. Le débat était correct et tout le monde y participait ; des journalistes-présentateurs-animateurs à LePen et Darmanin en passant par des sondages. Il y avait les moyens, il y avait l’envie, il y avait la bonne humeur, manquait plus que les petits fours et le public.

Était-ce la qualité des intervenants ?

Quant aux intervenants, c’est peu dire qu’il se respectait. Darmanin et LePen s’entendaient tellement bien qu’on aurait dit un porno ou personne ne se déshabillait (chose étrange, je vous l’accorde, mais pas immorale :-D).

Était-ce la qualité des sujets ?

Les idées étaient… de droite, voire d’extrême droite, chose très courante en France, et ce n’est pas la première fois que je regarde ce type de sujet.

Alors vint une question.

Pourquoi on regarde ces débats télévisés et Quel en est l’intérêt. Enfin, ne serait-ce pas la différence entre ce qui est proposé et ce qu’on en attend qui m’a rendu malade ?

Car si je regarde les débats politiques télévisés, c’est avant tout pour savoir ou en est la démocratie et ce que pensent les politiciens qui représentent le peuple. Le débat télévisé journalistique joue un rôle crucial dans le fonctionnement de la démocratie, du moins on le vend comme cela : Sans débat, pas de démocratie. Et un débat télévisé a une vocation intellectuelle, car politicien, car journalisme, etc. Et c’est là le problème, je n’ai jamais vu la moindre démonstration de cette affirmation(du moins à ma connaissance).

Mais peut-on démontrer une telle chose ? peut-on démontrer qu’un débat télévisé entre plusieurs politiciens (ou intervenants) est utile à la démocratie ?

Depuis le début je parle de débat, mais le débat n’existe pas. C’est comme “ le cancer “, cela veut tout dire et rien dire à la fois. Et bien pour les débats, c’est pareil, il en existe plusieurs types :

Et de là nous pouvons déjà faire une différence entre 2 types de débats : d’un côté il y a débat au tour par tour contenant un temps de réflexion entre chaque affirmation, et de l’autre, les débats en temps réels.

  • Dans l’hémicycle, chacun parle à son tour et entre les deux un temps de pause est respecté, temps de pause qui (normalement) sert à la réflexion. C’est encore plus vrai dans les débats scientifiques qui se font par écrit. Chaque réponse est réfléchie et à la fin d’un débat scientifique ou démocratique ce n’est pas le temps de parole qui compte (celui qui a rempli le plus de ligne) mais que le nombre d’interventions soit plus ou moins égale entre les débattants. L’organisation d’une séance de réponse aux questions permet à qui le veut que le nombre de questions soit égal aux réponses. Dans les débats au tour par tour, il existe un temps de réflexion (de par le contexte du débat) qui permet de réfléchir à ce qui a été dit par l’adversaire. Mieux, qui force la réflexion de ce qui a été dit avant de poursuivre le dialogue.
  • À l’inverse, les débats télévisés ont deux problèmes 1) ils ne se basent que sur le temps de parole et non sur le nombre d’interventions. Et de 2) les animateurs ne sont pas neutres à l’organisation mais animent le débat, voire l’orientent (contrairement au perchoir ou aux revues qui ne sont là que comme support). La différence est subtile mais bien là. Si l’un des deux intervenants veut parler pendant ses vingt minutes et que l’autre ne dit rien. Cela fera 1 intervention à zéro, puis s’engagera une conversation avec l’animateur (car l’animateur n’est pas neutre dans ce cas) et le nombre d’interventions sera de 1 pour l’intervenant A, 15 pour l’intervenant B et 14 pour l’animateur.

C’est un peu comme la différence entre les échecs et un jeu RTS. Aux échecs, à la fin de la partie la différence entre le nombre de coups des deux adversaires ne dépasse pas 1 alors que sur jeu tel que Starcraft, le nombre de coups dépend de la rapidité du joueur à cliquer quitte à cliquer sans réfléchir. Aux échecs, la réflexion y est forcée, partie prenante de l’organisation du jeu (comme dans les débats scientifiques ou dans l’hémicycle) tandis que dans StarCraft, la réflexion est au bon vouloir des participants (comme dans les débats télévisés).

Or ce temps de réflexion est la pierre angulaire de toute méthodologie qui voudrait avancer. S’il n’y a pas de temps de réflexion (de fact-check contextuelle) entre chaque affirmation, comment savoir si ce qui est dit est à garder ou à rejeter afin d’élever les propos pour arriver à une vérité (quelle que soit la définition de vérité) ? C’est justement cette réflexion qui permet de séparer le grain de l’ivresse dans la recherche, dans l’hémicycle, dans la justice, etc… Tout bonne méthode doit obligatoirement pouvoir prendre le temps de regarder en arrière avant d’avancer… si elle veut avancer. Or ce n’est pas le cas d’un débat télévisé.

Un débat télévisé n’a pas de but en soi ce qui fait qu’un bon débat pourrait à proprement parler tourner en rond. À retenir pour plus loin.

Comme dit plus haut, on nous vend le débat télévisé comme une pierre angulaire de la démocratie, mais avant de savoir si c’est vrai, qu’est ce que la démocratie ? Ou du moins comment en cerner une définition utile pour ici ?

Je vais passer rapidement sur la célèbre phrase “ c’est le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple “ prononcée par les plus idiots des humains dans l’espoir de grappiller quelques échelons sur l’échelle de l’intelligence. Voyons plutôt la définition de Wikipédia.

… désigne à l’origine un régime politique dans lequel tous les citoyens participent aux décisions politiques au moins par le vote.

Bien, jouons un peu avec cette définition (expérience par la pensée) ! Prenons un groupe de 100 citoyens et posons-nous la question suivante : quelle est la seule liberté/droit/prérequis/pouvoir nécessaire à ce groupe de 100 citoyens pour être considéré comme démocratique ? Toujours selon toujours Wikipédia, plusieurs critères doivent être rencontrés et ainsi la liberté d’expression, l’existence de l’état de droit, etc. sont obligatoires dans un état démocratique.

Mais supposons que nous demandons à nos 100 citoyens s’ils sont pour ou contre l’état de droit et que la majorité vote contre, qu’ils préfèrent qu’un type soit tiré au hasard et qu’ils prennent toutes les décisions qu’ils veulent, quelles que soient les décisions. Bref, pour ses 100 citoyens, l’état de droit ne les intéresse pas. Devons-nous considérer leur système comme non démocratique, car ils ont choisi de ne pas vivre dans un état de droit ? Leur pays sera-t-il considéré comme une dictature ?

Supposons maintenant que nous leur demandons de choisir si oui ou non ils sont pour la liberté d’expression, et qu’ils répondent “non” en forte majorité. De nouveau, doit-on considérer ce peuple comme non démocratique ? Doit-on envoyer l’armée américaine pour les libérés de cette dictature et torturer les 51 et plus citoyens pour qu’ils acceptent la liberté d’expression ? Et si, même sous la torture ils refusent la liberté d’expression ?

En regardant de plus près ce principe peut-être appliqué à tout : liberté de la presse, libre circulation, etc. À tout, sauf à une liberté : la liberté de choix. Si ce groupe de 100 personnes refuse la liberté d’expression c’est par choix, si le groupe refuse l’état de droit, c’est par choix, etc. La seule et unique liberté nécessaire est la liberté de choix et le modèle démocratique pourrait simplement être vu comme une déclinaison du choix des citoyens dans les libertés qu’ils veulent.

Alors, à ce stade plusieurs points d’éclaircissement sont nécessaires.

  • Premièrement, c’est une expérience par la pensée, voire un modèle de représentation, en aucun cas la réalité.
  • Secondement, cette condition est une condition nécessaire pas suffisante. Supposons qu’on demande à ces 100 personnes “ tous ceux qui ne votent pas pour Mr A seront assassinés “, et lors du dépouillement, 60 votes pour Mr A et 40 votes contre, donc Mr A à le pouvoir et que fait-il, ils butent tous les gens qui n’ont pas voté pour lui et ainsi commence la dictature, donc une autre condition est que les minorités doivent être respectées. Cela implique beaucoup de choses qui ne seront pas expliquées ici car ce n’est pas le propos mais en gros ; toute proposition soumise au vote ne peut atteindre le quorum directement ou en le laissant mourir (c’est entre pour cela que les gens en prisons doivent pouvoir voter). Ceci pourrait être débattu longuement…, m’en fout.
  • Je parle ici de principe et non de mise en pratique. Il y a une énorme différence entre démocratie et système démocratique. C’est bien beau d’avoir une liberté de choix mais comment la rendre applicable dans les faits ? Par vote SMS ? Par mail ? Par like sur Facebook ? Idem, non expliqué ici.

Donc voilà une définition démocratique qui m’est utile : la démocratie c’est la liberté de choix (sous réserve de protéger les minorités).

Cette simple définition me permet de répondre à pas mal de questions politiques que j’entends ici et là (comme par exemple, pour ou contre le vote des étrangers, pour ou contre le vote des prisonniers, etc.), mais comment cette définition peut nous aider à savoir si les débats télévisés sont utiles au processus démocratique ?

La connaissance

Supposons que vous soyez le peuple et que, par application de la liberté de choix, je vous demande la question suivante : êtes-vous pour ou contre l’application du principe d’incertitude d’Heisenberg durant le valvulaire planétaire de l’année 2031 ? Prière de répondre avant de continuer à lire, car vous avez la liberté de choix donc, utilisez-là ! Allez-y et ne trichez pas.

Voyez-vous où est le problème ? Avant de faire un choix, encore faut-il comprendre ce qui nous est proposé (et je vous rassure, la question ne voulait rien dire), encore faut-il avoir la connaissance, encore ne faut-il pas être idiot sur les sujets proposés. Donc la question peut être posée en ces termes. Les débats télévisés journalistiques enrichissent-ils ma connaissance dans un domaine quelconque qui me permettrait de faire un choix démocratique ?

Or la connaissance c’est deux choses :

Donc la question peut de nouveau se reformuler ainsi. Les débats télévisés journalistiques permettent-ils de découvrir quelque chose de nouveau ou bien de diffuser une information quelconque ?

Concernant la première question (les débats télévisés journalistiques permettent-ils de découvrir quelque chose de nouveau ?) la réponse, elle est vite répondue. Les débats n’ayant aucun but à proprement parler, comment pourrait-il faire des découverte. Sans parler que la plupart des débattants sont connu de longues dates, on les invite d’ailleurs pour cela.

Concernant la seconde question (les débats télévisés journalistiques permettent-ils de diffuser une information quelconque ?), supposons une information (une enquête d’un journal par exemple sur du détournement de fonds). Cette information sera-t-elle diffusée lors du débat ? Une information judiciaire apparait dans les journaux, une découverte scientifique est vulgarisée, le journalisme d’investigation publie dans son propre papier. Dans les débats, il n’y aura pas une diffusion de l’information mais une discussion de celle-ci, discussion entre personne (intervenant, animateur et spectateur) qui aura déjà appris l’information via d’autres canaux, et le but n’est pas d’apprendre mais de voir la réaction du politicien inculpé.

Conclusion

Voilà. Contrairement à ce que je pensais, c’est une croyance que le débat télévisé organisé par des journalistes apportent une quelconque aide dans le processus démocratique, et ce même si c’est le pouvoir qui s’exprime, qu’il soit le troisième, deuxième ou quatrième.

Mais faut-il jeter les débats pour autant ? La réponse est non, il faut juste les considérer pour ce qu’ils sont. S’il n’aide pas à la décision démocratique, peut-être aide-t-il à autre chose. Un match de foot n’a rien avoir avec le processus démocratique pourtant il apporte beaucoup aux gens qui aiment cela (socialisation, passer le temps, etc.), un match de foot, fais partie d’un autre cadre, celui de l’entertainment (l’amusement) et c’est, je pense, la place des débats télévisés organisé par les journalistes.

Mais alors, qu’est-ce qu’un débat télévisé ?

Un débat télé est avant tout un jeu : rien de plus, rien de moins. Un jeu avec des règles et dont le but des joueurs (les participants) est d’essayer de coincer l’autre tout en ne se faisant pas piéger, bref un match de tennis dont les balles seraient des réparties, ni plus ni moins ou un match de catch ou les plus belles figurent (ou petites phrases) sont exécutées avec ou sans l’aide des arbitres.

Un débat télévisuel n’a pas d’autres buts que de faire passer un bon moment et en aucun cas améliorer la connaissance de la société. Et par opposition, un mauvais débat télévisé est comme un mauvais match de foot, jouant défensif, ne voulant pas se mouiller. D’où le malaise cité en début de l’article. Il règne dans les débat-télés une dissonance entre ce qui nous est promis (une clé de voûte à l’édifice de la démocratie) et ce qui nous est donné (un jeu).

Or si tout ceci n’est qu’un amusement pourquoi est-il présenté par des journalistes ? Si on suit la logique, ne vaudrait-il pas mieux faire présenter ces débats par Jean-Luc Reichman, Nagui ou Patrick Sébastien (Dieu que j’aimerais voir cela.) ? Les journalistes n’ont pas leur place dans les débats télévisuels ou alors il ferait mieux de présenter les débats en pompon-girls étoilés comme un match catch en début de rencontre.

En conclusion, je ne regarderai plus les débats télévisés par intellectualisme, mais plus par beauferie espérant non pas apprendre quoique cela soit des échanges, mais simplement espérer des échanges tels deux tennismen.

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